Je n’ai pas pu lui demander où se trouve exactement cet hôtel… Pas vraiment envie d’y retourner, je préfère éviter, dans la mesure du possible, de parler aux gens. Surtout que le visage de dégoût qu’il avait lorsque je suis entrée dans cette boutique me revient en tête. Je prends donc une direction au hasard, espérant trouver une carte de la ville sur un des rares arrêts de bus – puisque je me rappelle que c’est sur le Quai Poey. Enfin, pas tellement au hasard puisque je n’avais pas vu de rivière sur mon trajet jusqu’ici, donc je vais machinalement dans le sens opposé. Ce n’est pas forcément le mieux, mais je pense que marcher un peu me fera du bien.
Le ciel est encore nuageux, mais j’y vois mieux. La plupart des bâtiments ont l’air d’être en vieilles pierres. Ça doit être beau, l’été, avec un grand soleil !
Je passe au milieu d’une grande place où se situe une énorme fontaine monolithique ainsi qu’un kiosque joliment décoré avec du carrelage vert et jaune. Je trouve qu’il se prêterait particulièrement à la musique de rue, j’aimerais beaucoup écouter un accordéoniste jouer ici. Même si je n’y connais définitivement rien aux accordéons j’imagine que ça donnerait une belle acoustique ! Ou sinon de l’orgue de barbarie, ça serait rigolo. La seule fois où j’en ai entendu c’était dans un grand marché quand j’étais gosse ; c’est tellement loin… Je pense que je reviendrai ici plus tard, au moins pour rêvasser sur un banc et observer les pigeons, si j’ai de la chance. Pour l’instant je dois trouver cette rivière, qui ne doit pas être loin comme les bourgs sont souvent placés sur des cours d’eau.
J’arrive sur une avenue, je manque de trébucher sur les dizaines voire centaines de marrons tombés au sol ici… C’est vrai que c’est l’automne, la saison des pièges. Les marrons sont une chose, mais les plaques de feuilles mortes humides c’est pire. J’ai toujours eu la poisse, faut rester alerte dans ce genre de cas.
J’observe un peu les boutiques. Un libraire, un opticien et un épicier. Tout ce qu’il faut pour moi ! Beaucoup de commerçants ont dû faire faillite, à en croire la multitude de vitrines peintes au blanc de Meudon1… Une triste époque pour tout le monde, faut dire.
En traçant ma route je remarque une autre place à ma gauche, l’accès à celle-ci est très pentu, j’évite donc ce chemin puisque je ne suis pas au meilleur de ma forme aujourd’hui. Je suis plutôt intriguée par l’architecture de certains bâtiments, mais je dois m’économiser, je ne sais pas combien de temps je vais tourner avant de trouver la rivière puis l’hôtel. Mon dos me lance déjà. Si je force, ça n’amènera rien de bon.
Finalement j’arrive sur un large pont en pierre, plutôt récent, avec des jardinières de fleurs suspendues aux rambardes. Une déco très classique. J’ai ma rivière, en fin de compte. Cependant je dois choisir par quel côté explorer, ça m’accable d’avance… Je décide donc de faire demi-tour et d’aller jeter un œil à cette librairie en espérant trouver des gens sympas – même si je ne mise pas trop là-dessus. Il me faut aussi de quoi occuper mes soirées et m’évader un peu ; c’est donc décidé, je rebrousse chemin !
Une fois devant la façade, je regarde en détail la vitrine, plutôt dépouillée et bien présentée ; s’y trouvent des romans, de la SF, un peu de BD. J’hésite puis je monte le perron puisse pousse la délicate porte en verre. Bruissent quelques grelots, qui suffisent à me déstabiliser.
Ah, y’a personne au comptoir… Tant mieux, je vais pouvoir étudier le lieu tranquillement. L’espace est agencé de manière à laisser beaucoup de vide, les murs sont emplis de bouquins jusqu’à mi-hauteur tandis que des tables sont disposées ni trop proche ni trop loin des bibliothèques murales afin d’avoir très largement la place de circuler à plusieurs. Sur ces mêmes tables, d’autres bouquins, des brochures et des BD. Certaines couvertures sont pleines de couleurs, trop de couleurs ; d’autres sont très sobres, allant jusqu’à la monochromie. Les dessins en noir et blanc m’ont toujours fascinée, je trouve ça incroyable d’être capable de faire passer autant d’émotions avec si peu de moyens – mais beaucoup de talent !
J’entends derrière moi un bruit de frottement inhabituel. En me retournant prudemment je trouve une femme en fauteuil roulant. Le pourquoi de l’agencement devient plus clair à présent ! Du coup, l’espèce de frottement, c’était donc en manipulant les mains courantes de son fauteuil pour s’arrêter. Elle semble aussi surprise que moi.
— Bonjour, me dit-elle avec une voix presque chuchotante. Je n’avais pas entendu la porte, veuillez m’excuser.
— Oh euh, vous-en faites pas, je ne fais que regarder.
— D’accord, appelez-moi si je peux faire quelque chose pour vous !
— C’est noté. » Ouf ! Elle ne va pas me coller aux basques pour me conseiller tout et n’importe quoi…
Je lui demanderai après pour l’hôtel, je cherche d’abord de quoi me divertir. Sur les premières étagères, à gauche en entrant, sont disposées toute la science-fiction, puis vers la droite on trouve les divers romans. Sur les tables sont probablement disposés les livres préférés et conseillé par le personnel de la librairie. Où sont donc les BD ? Je n’en ai pas vu, et j’avoue que ça me changerait un peu.
— Excusez-moi, j’ai cru voir des BD en vitrine, vous en auriez d’autres ?
— Oui, c’est dans la seconde partie du magasin, au fond. Il faut passer à gauche du comptoir et emprunter le petit couloir. Je sais que ce n’est pas commun et un peu déroutant.
— Je comprends, merci !
Je pensais que ce passage était une arrière-boutique ou un espace de stockage, à vrai dire je l’avais à peine remarqué. Dans cette seconde pièce l’organisation est similaire, mais des posters sont affichés au-dessus des bibliothèques, représentant probablement différents héros des livres vendus ici. L’ambiance est quand même un peu différente ; les poufs et tables basses jouent pour beaucoup là-dedans, l’absence de vitres donnant sur l’extérieur ainsi que l’éclairage ocre-orangé n’y sont pas innocents non plus. C’est un véritable cocon ici !
En m’approchant des étagères, je me rends compte que ce n’est pas classé par ordre alphabétique mais par couleur des tranches. Un étonnant dégradé en résulte, ce qui est plutôt agréable à l’œil. J’y connais rien en BD, donc j’en prends une dont la tranche est noire ; sa couverture est bleue et mauve tirant au grisâtre, son nom m’importe peu, je cherche un truc beau et qui me détende. Ça semble parler de robots qui ont envahi la Terre et annihilé toute vie, mais qui vivent tout comme des humains. Okay, intéressant. Je le repose à son strict emplacement puis en prend un autre, un peu plus loin. Celui-là aussi a sa tranche noire, cependant un poil plus clair, sa couverture est couleur ianthine au milieu, là où se trouvent les personnages, et magenta pour le reste. Le titre est inscrit en lettres dorées. Là ça parle magie. Un peu moins mon truc mais pourquoi pas. Je le repose comme le précédent en gardant en mémoire leurs emplacements. « Que donnent les tranches blanches ? » me demandé-je en tirant une couleur blanc cassé. La couverture suit le même dégradé ivoirin sur ses deux côtés. Un duo de personnages monstrueux est dessiné sur la première de couverture. Apparemment cette histoire présente un homme qui cherche de l’aide auprès d’un village de monstres. Toutes les pages sont teintées d’ocre, comme cette pièce. Je vais le prendre.
Je retourne au comptoir.
— Je peux vous prendre celui-ci ?
— Bien sûr ! Il est en deux tomes, voulez-vous que je commande le second ? Nous le recevrons la semaine prochaine je pense.
— C’est si long de commander ici ? Dans ce cas oui je veux bien que vous me le commandiez.
— Je peux prendre votre numéro de téléphone pour vous prévenir quand il sera arrivé ?
— Je n’en ai pas. J’ai prévu de repasser ici régulièrement, ça ira ?
— Bien entendu !
— Puis-je vous demander un service ? J’ai besoin d’un hôtel pour ce soir et on m’a conseillé celui Quai Poey, vous pourriez m’indiquer la direction s’il vous plaît ?
— Ce n’est pas bien compliqué, c’est juste à droite après le pont, suivez la route sur environ 150 mètres.
— Merci beaucoup !
— Ça fera 14 gon pour le livre s’il vous plaît.
— Oui, tenez.
Je dépose un billet de 20, j’ai donné mes dernières pièces au café. Puis je poursuis :
— Excusez si ma question est déplacée, mais comment entrez-vous dans votre librairie alors qu’il y a un perron et que vous utilisez un fauteuil roulant ?
— Oh ne vous en faites pas, c’est même une très bonne question. Il se trouve que j’habite dans la maison contigüe à la salle des bandes dessinées. La porte dans cette dernière me permet de passer entre les deux. Aussi, la rue étant légèrement en pente la boutique possède un perron mais pas mon logement.
— Je vois, tout s’explique ! dis-je en souriant.
— En effet ! Au plaisir de vous revoir ici dans tous les cas !
— Je n’y manquerais pas, lui répondis-je sans hésitation en rougissant un peu.
J’ai tellement peu l’habitude des relations sans anicroches que j’en suis émue. Je pense que je reviendrai ici bien avant la semaine prochaine.
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