De retour dehors, je prends tout de suite à droite jusqu’au pont. Où je bifurque une nouvelle fois. Là encore, les marronniers sont présents et ont lâché, de concert, un tas de petites boules piégeuses accompagnées de leurs bogues. J’en ramasse quelques-unes, puis les glisse dans l’une de mes poches, ça me fera un souvenir.

Cette nouvelle rue, bordant la rivière, est plus étroite. Les racines des arbres ont soulevé le goudron des trottoirs, parfois au point de se retrouver à l’air libre. Les arbres sont aussi plus anciens et imposants. Au loin, sur la berge opposée, j’aperçois un saule pleureur.

Cette fois-ci, en croisant quelqu’un, j’ai pu voir qu’il me dévisageait. Ça ne doit pas être la première occurrence du jour, mais là j’ai croisé son regard. Ces gens-là ont toujours ce complexe mélange de dédain, de dégoût et de pleutrerie. Dès que je les regarde en retour ils se ravisent par lâcheté. Ça file la queue entre les jambes. Normalement j’évite de regarder les gens dans la rue pour cette exacte raison. Pour ce sentiment d’être une sous-personne, une moins-que-rien. Au final je fuis tout contact social et ça me ronge.

Cette femme à la librairie, il faudra que j’essaie de discuter avec elle, je ne me sentais pas écrasée de stress avec elle. C’est la seule à ne pas m’avoir mise mal à l’aise depuis longtemps ; elle aussi doit partager ce tourment… Cette pénible vie de quarantaine sociale forcée.

Bref, je suis déjà arrivée devant l’hôtel. « Le Bel Air », bah tiens, comme c’est original. La façade est défraîchie mais reste correcte, la peinture n’est pas écaillée mais ça ne saurait tarder. Je pousse la porte battante, porte grinçante plutôt, et entre timidement.

— Bonsoir madame, me dit-on depuis ma droite.

— Bonsoir, j’aimerais une chambre pour cette nuit, s’il vous plaît.

Il est déjà si tard pour dire « bonsoir » !?

— Pour vous seule ? me questionne le taulier.

— Oui, pour une nuit.

— Bien. Le nettoyage des chambres est à partir de 11 heures, je vous prierais de me rendre les clés une demi-heure avant.

— Sans problème.

Si j’arrive à me réveiller à temps, pensé-je pour moi-même.

— Parfait ! Une chambre pour une personne c’est 75 gon, s’il vous plaît.


Une fois arrivée dans ma chambre, j’enlève doucement mon sac à dos et dépose la BD sur le lit.

J’ouvre en grand les stores pour y voir plus clair puis visite un peu mes nouveaux quartiers. J’ai donc à ma disposition un lit simple, une loupiotte au-dessus de ce dernier, une petite table de nuit en bois massif et des rideaux bleu paon.

La salle de bain est minimaliste : un évier et des WC. La douche est probablement sur le palier, on a omis ce détail à l’accueil, mais je m’en accommoderai aisément.

Le papier peint est censé avoir des motifs de jolies fleurs ou de plantes carnivores ? J’avoue l’ignorer… En tout cas il n’est plus tout jeune, jauni qu’il est par le temps et par le probable tabac qui fut consumé ici, lorsque c’était encore légal de fumer dans ce genre d’établissements. Il n’en reste pas la moindre odeur.

Le lit est propre – en tout cas d’apparence – et bien bordé. Je m’allonge dessus, près du livre qui m’y attend puis réfléchis à la journée passée.

J’ai beaucoup voyagé depuis mon départ de l’hôpital. Je ne pouvais décemment pas ravaler cette irrépressible envie de changer d’air, après des années enfermée dans la même chambre glauque. Sitôt ma rééducation faite, j’ai déguerpi, libre et heureuse de découvrir à nouveau le monde extérieur.

Le bus a été une des pires expériences, ça vibre, ça freine fort et c’est bruyant. Le mal de dos en résultant ne m’avait pas quittée durant des jours… J’avais dû faire avec mais c’était difficile, je restais alitée pour me soulager, sans grand succès.

Ressasser tout ça n’aidant pas le moral, je décide de me tourner sur le côté et de commencer ce livre, le premier que j’ai pu acheter depuis un moment. C’est donc l’histoire d’un chat humanoïde qui transporte un cercueil et va dans un village de monstres difformes… Joyeux tout ça, encore. Je m’étais laissée séduire par la beauté des dessins, tout ça n’était donc qu’un piège à émotions ? Bah… Lisons la suite quand même…


Une lumière flamboyante atteint mes yeux. Cette couleur est la résultante de mes paupières fermées, traversées par un vif rayon du jour. Scellés par quelques heures de sommeil, mes mirettes ont du mal à s’ouvrir.
Je m’assieds sur le lit, puis tire mon sac à dos vers moi. J’en sors une petite boîte métallique. Une fois ouverte, celle-ci révèle du matériel médical. Je saisis une petite ampoule remplie d’un liquide translucide, une paire d’aiguilles et une seringue et les pose sur la table de nuit.

Mon pantalon baissé, je prends à nouveau l’ampoule dans mes mains et dans un plip caractéristique elle est désormais ouverte.

« La grosse aiguille pour prendre le médicament, la petite pour l’injecter… »


C’est parti pour une nouvelle journée. Après avoir rangé mes affaires dans mon sac, je descends à l’accueil.

— La nuit s’est passée convenablement ?

— Oui, aucun souci. À bientôt.

— À bientôt.


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