Aujourd’hui, il fait beau. Je sors donc ma casquette kaki et la coiffe. Le soleil semble donner de légers reflets auburn à ma chevelure. Je me sens belle.

Avec mon vieux treillis bon marché et ma veste en jeans qui filoche d’usure au niveau de mes poignets, je vais sûrement avoir l’air tout droit sortie d’une dystopie apocalyptique pour les gaziers qui peuplent cette ville. J’ai choisi ces vêtements parce qu’ils sont abordables et durables, moins pour le style – même si je les aime énormément. Ç’a un certain charme.

À en croire les petits bruits indolents de mon bide, il faudrait que je me nourrisse. Je prends la route de l’épicerie repérée sur mon chemin de la veille.


Après un repas frugal mais revigorant, j’erre en ville. Il fait chaud. Mon sac à dos pèse. Je me pose à l’ombre dans une impasse ombragée perpendiculaire à la grande rue que j’ai machinalement suivie jusqu’alors. Je me baisse lentement en m’appuyant sur ma béquille afin de m’asseoir en douceur. Mission réussie ! Je me déleste de mon sac et en sors une bouteille de limonade mi-pleine, je la porte à ma bouche…

« Pouah ! C’est brûlant ! » C’est immonde… J’ai réussi à déglutir mais ça s’est joué de peu. De l’eau chaude pétillante, je jure qu’aucun humain décent ne peut aimer ça. Je ne sais pas la température qu’il fait, mais si je devais donner un ordre de grandeur pifométrique, j’attribuerais un « trop » puisqu’il aura suffi d’une petite marche pour que ma boisson passe de l’état « réfrigéré » dans l’épicerie à « en fusion » dans ma bouche. Ah bah non, la fusion c’est pas ça du tout. En tout cas ce n’était pas agréable.

Soudain, vient un chat. Furtif, dans l’ombre, il s’approche. Mes cheveux longs sont à mon avantage, je l’observe à travers eux sans qu’il s’en doute. Je pense qu’il est à environ 15 mètres de moi.

Je miaule pour le taquiner, mais, d’un air ostensiblement indigné par mon imitation ratée, il s’arrête. Puis semble hésiter à repartir d’où il vient, plein de dédain. Il poursuit finalement sa route pour finir par s’arrêter à côté de moi et s’allonger, sans un « miaw » de politesse.

Je bois une nouvelle gorgée en regardant mon nouvel ami d’un œil. Il m’ignore.

« Qu’est-c’qu’y a, chat ? Comment va ta vie ? »

Fatalement, il se lèche les couilles. Au moins il semble en confiance.

« Je peux te parler de ce qui me tracasse ? »

J’imagine.

« Tu sais, ça me pèse tout ça… Moi… Enfin non, plutôt ce que les gens me font penser de moi. Parfois sans dire un mot. »

« Y a pas une personne qui ose me regarder en face. Cela dit, moi non plus, mais c’est du réflexe de survie, du conditionnement. J’ai peur de ce qu’on peut dire… Des pensées des gens… Donc je tente de cacher, mais c’est vain. C’est littéralement écrit sur ma gueule… que je suis un monstre. »

Il me regarde, interloqué, puis continue sa toilette.

« Ouais, toi ça t’est égal. Au moins je peux en parler à un semblant de personne. »

Je déplace mon sac pour m’en servir d’oreiller, puis m’allonge sur le côté, regardant dans le vide.

« Ce serveur hier… »

Après quelques instants allongée et à moitié recroquevillée, je sens le chat venir se blottir contre mon ventre. Les animaux ont tendance à m’apprécier. Je le caresse doucement. Il est doux, malgré la saleté. Le contact physique est rare, j’en profite.

« Que faire ? pensé-je. Je n’ai aucun but, si ce n’est éviter de dépérir. »

Je sors mon livre de mon sac. Pandemonium, c’est son titre. Shô Shibamoto, c’est son auteur. Puis je continue ma lecture de la veille. Les personnages sont variés et certains attachants quand d’autres sont purement effrayants. Toutes les pages sont en couleur – même si entièrement en nuances d’orange – c’est rare pour un manga, c’est étrangement délicieux à regarder.

C’est attristant comme histoire. Mais ça donne de l’espoir et du courage. Tout ce qu’il me faut. Faut dire que je me retrouve beaucoup dans ce récit.

Domika s’occupe bien du héros. Je la trouve mignonne ; elle, par contre, se trouve difforme. Quel écho !

« Chat, je vais t’appeler Zipher, comme le héros chat du livre ! »

Enfin je dis « héros » mais il n’en a que le nom. Il est assez méprisable. Il reste accroché à ses fantasmes et préjugés. N’empêche, vivement le second tome, j’ai bien dévoré celui-ci.


J’attrape ma béquille et la positionne verticalement à côté de moi avec ma main sur la poignée. Puis je me propulse avec mon autre main, posée au sol derrière moi, afin d’avoir l’élan nécessaire pour me lever. À mi-lancée, je m’appuie sur ma béquille pour finir de me redresser. Il fait plus frais désormais. Je vais pouvoir retourner me balader.

Le chat s’est déjà bien éloigné et miaule dans ma direction. Le suivre ? J’ai rien d’autre à faire après tout, sinon errer. « J’arrive. » Il m’emmène dans des rues tout aussi banales et inattrayantes que celle où j’étais. Les maisons n’ont rien pour elles, franchement sans aucun charme. Le béton est noirâtre sur certaines, les jardins sont pleins de hautes herbes, toutes les peintures des façades sont écaillées. C’est un vieux quartier qui semble à moitié abandonné.

Zipher semble vraiment déterminé à ce que je le suive, ça me questionne beaucoup. Il s’assure même que je ne perde pas sa trace en s’arrêtant régulièrement, et il attend que je le dépasse avant de recommencer à courir devant moi pour me guider.

« Miaw ! »

Oui ?

« Miaw ! »

Ah oui, je l’ai dépassé et il reste sur place.

« Ah, te voilà Crapule ! »

Qui ?

« Tu avais disparu tout l’aprem, t’es pas possible… Allez, viens manger ! »

Je me tourne vers ma gauche et vois un jeune homme débraillé. « Wesh, je lui dis.

— Pardon ? qu’il me répond, un peu paniqué.

— Je, euh… salut. J’ai suivi le chat. Il s’est collé à moi depuis ce midi et m’a conduit jusqu’ici. Il est cool et il m’aime bien alors je me suis laissée faire.

— Ah ué je vois… Tu veux te poser un peu ? t’as l’air essoufflé.

— Si t’as un canapé, tu feras une heureuse. Allez ! »


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